Saintes partie 3 : Wilgeforte, et incarner sa force

Saintes partie 3 : Wilgeforte, et incarner sa force

Si vous n’avez pas lu les précédentes parties de Saintes, je vous invite à découvrir Saintes Partie 1 et Saintes partie 2 pour comprendre cet article avant de poursuivre la lecture.

Après m’être frottée aux piquants messages que je faisais ressortir à travers Sainte Jeanne, Sainte Marie et Sainte Marie Madeleine, j’ai décidé de terminer par celle qui n’a pas existé, celle dont le caractère purement légendaire est officiellement acquis, Sainte Wilgeforte.

J’avoue avoir prit des risques en travaillant sur cette femme. Déjà parce que je rends hommage à une légende et non une véritable personne, mais aussi parce que celle-ci peut être dérangeante, si on ne prend pas la peine de comprendre mon intention derrière ce choix.

Wilgeforte serait, selon des textes espagnols, la fille catholique d’un roi païen du Portugal. Lorsque, en dépit de son vœu de virginité, son père, menacé par un roi de Sicile, veut la marier à l’envahisseur en échange de la paix, la jeune femme en appelle à l’aide de Dieu. Le miracle a lieu et elle se retrouve affublée d’une barbe qui décourage totalement son prétendant. Et parce qu’elle refuse de renier sa foi ou, selon les variantes, pour fait de sorcellerie, elle est condamnée à être crucifiée. Wilgeforte est devenue alors l’icône d’une différence qui dérange. 

Désobéissance, androgynie et rejet.

À travers cette série de 3 clichés, j’ai voulu exprimer la sensibilité féminine que Wilgeforte avait non seulement gardé avant sa mort, mais aussi la pureté de sa foi qui se retournera contre elle. Wilgeforte est une martyre que j’ai décidé d’honorer grâce à la première photographie intitulée “Virgo Fortis” ce qui veut dire “vierge forte” soit Wilgeforte, incarnée par mon amie et modèle Sorcha.

Celle-ci est allongée sur la croix en position de crucifixion. Elle porte une robe de mariée en dentelle qui laisse entrevoir sa silhouette féminine. Elle porte également la jarretière, détail que j’ai souhaité ajouter pour accentuer sa féminité et l’appartenance à l’époux, bien qu’elle en aura jamais et restera vierge. La jeune femme est entourée de fleurs et de mousse qui sont à mes yeux, symboles de beautés naturelles. 

 

Virgo Fortis, Saintes Wilgeforte, 2016. Maquillage Sophie Moutier.

Sur la deuxième photo “Odieuse nature” (voir photo qui illustre l’article) j’ai représenté Wilgeforte emprisonnée par des branches d’arbres et d’arbustes comme si la forêt voulait s’emparer d’elle telle la bête sauvage qu’elle incarne. Une image qui est associée à ma 3ème photographie intitulée “Dévisagée” où on voit en gros plan le visage de ma modèle encerclée par des mains noires qui semblent elles aussi vouloir s’emparer d’elle.

Wilgeforte n’a pas sa place auprès des humains qui la rejettent et se voit incarner ce qu’ils considèrent comme étant “contre nature”. 

Évidemment, c’est une accusation qui m’attriste, mais qui réveille en moi un profond sentiment d’injustice, lourdement nourri par une blessure de rejet que j’ai exprimée à plusieurs reprises dans mes créations. Et je suis d’autant plus touchée par le rejet des personnes considérées comme anormales. L’androgynie ou le transgenre, sont des différences qui ne le sont qu’en surface. Derrière chaque caractéristique physique se trouve un coeur fait d’amour et de blessure que nous sommes tous capables de comprendre. Cette grâce nous unie les uns aux autres peu importe nos caractéristiques physiques.

Ma série Sainte Wilgeforte est aussi un hommage à Harnaam Kaur atteinte du syndrome des ovaires polykystiques, un trouble anormal qui lui confère une importante pilosité. Après de nombreuses années de souffrance et de dépression, cette jeune britannique a décidé d’assumer sa pilosité et depuis porte sa barbe tout en préservant sa féminité. Elle est un symbole de courage et de force que j’admire particulièrement.

Mais alors quel était le message que je souhaitais m’adresser en mettant en scène cette Sainte très différente des autres ? C’est cette différence même dont je devais m’inspirer alors que je me sentais parfois dérangeante auprès d’un public qui ne comprenait pas toujours mes créations , se sentant mal à l’aise face à elles. Alors, si je devais donner la parole à Wilgeforte, je pense qu’elle me dirait “Regarde tes combats et ta force qui t’ont poussé à t’affirmer. Peu importe le regard des autres et incarne courageusement celle que tu es”.

Le thème

“Saintes” est un hommage, une considération avant la fin. La fin d’une période, la fin d’un cycle, la fin de mon deuil. Les thèmes abordés font références à ce que j’ai moi-même traité grâce à ma créativité et mon intuition. En plaçant ces femmes au centre de mon thème, j’ai également placé mes blessures comme un récapitulatif de mes années de deuil.

Et pour la dernière fois, j’ai exprimé tout ce que j’avais dans mes tripes à travers une exposition en mai 2016 à Harfleur près du Havre. Ce fut la dernière fois que je présentais mon travail au public. L’affiche de cette exposition symbolise en plus de mon thème, l’incinération de ce que j’ai traversé, comme le phoenix qui, de par sa nature, brûle avant de renaître de ses cendres, plus fort et plus sage. 

Alors c’est avec mes yeux humides que je termine l’écriture de cette période de ma vie qui, aujourd’hui, constitue le socle de mon intention en tant qu’artiste :  La catharsis. 

Ci-dessous, quelques souvenirs de l’exposition Saintes en 2016.

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