À lire avant, dans l’ordre :
Mon catalyseur (Clément partie 1) https://lesmotsnus.com/606-2/
Le goût de l’éternité (Clément partie 2) https://lesmotsnus.com/le-gout-de-leternite/
Le message du chien https://lesmotsnus.com/le-message-du-chien/
La vie a un plan. Que nous le décidions où non, la vie saura toujours ce qui est bon pour nous, peu importe nos projets. Elle nous fait vivre des évènements parfois heureux, parfois douloureux, et nous expérimentons. Nous expérimentons les joies comme les drames, les opportunités comme les contretemps, les rencontres comme les séparations.
Et je reste convaincue d’une chose : les rencontres ne sont pas des hasards.
Bien sûr, je ne parle pas des personnes que l’on croise à peine, je parle évidemment de celles qui provoquent une surprise, celles que nous n’attendions pas.
À la fin de l’année 2012, un être précieux est apparu sur ma route toute cabossée. Dès les premiers échanges avec lui, je me suis sentie bien. Je ressentais un véritable bien être et alors que je me croyais éteinte par le deuil, je me suis remise à rire. Le rire, c’est exactement ce dont j’avais besoin.
Cela avait quelque chose de miraculeux, tandis que je portais l’écrasant poids de mon traumatisme depuis près d’un an. Pourtant, j’ai toujours eu moi-même de l’humour. Je suis de nature à trouver n’importe quelle occasion amusante et suis la première à rire de moi. Clément aimait beaucoup l’humour également, ce qui faisait de lui un bon partenaire de jeu, mais ce n’était rien à côté du duo que j’ai formé avec Loris pendant 8 ans.
Et cela peut paraître fou aux yeux des rationnels, mais je pense que Loris a certes été choisi par les lois de l’univers, mais aussi par Clément lui-même. Cette délirante mais néanmoins réflexion m’est venue lorsque Loris m’a raconté ce qu’il avait fait aux funérailles de Clément. C’était à la fin de la cérémonie, quand toutes les personnes présentes lui rendaient hommage en saluant une dernière fois son cercueil. Elles défilaient devant lui une par une, pour s’incliner, déposer une rose, faire un geste de la main. Loris m’a raconté que lorsque c’était son tour, il avait d’abord baissé la tête en signe de respect, puis avait adressé un clin d’œil à Clément. Je suis certaine qu’il a été le seul à faire ça, car c’est bien son style. Et je n’ai pas de mal à penser qu’en faisant cela, il envoyait à son défunt copain un message bienveillant dont il ne pouvait imaginer à ce moment-là : “Ne t’en fait pas, je vais veiller sur elle”.
Il a veillé sur moi.
Lui et moi le savions, notre couple avait créé ses fondations sur ce deuil, ce qui le rendait particulier. D’un point de vue extérieur, cela avait quelque chose de singulier, mais pour nous, c’était évident. Loris était appelé à me faire rire, à prendre soin de mon bien être, tandis que moi qui venais de chuter violemment dans la vie d’adulte, je le faisais grandir.
Chacun avait son rôle, chacun apportait ce qu’il fallait pour nous faire évoluer, comme dans toutes ces rencontres non hasardeuses. J’ai fait confiance à la vie et me suis faite confiance même si je ne pensais pas être prête, car rappelons-le, cette aventure a commencé quelques mois après le décès de Clément.
Bien sûr j’ai eu peur, d’abord de ce que je ressentais mais aussi de ce que penseraient les autres. Le regard extérieur et le jugement ont toujours été mes pires ennemies, et je n’étais clairement pas prête à me battre contre ça, en plus de l’état de vulnérabilité avec laquelle je devais faire face. Pourtant ce que je craignais est arrivé. Mon choix a blessé un ami de Clément qui, rongé par le chagrin, aurait préféré que je reste seule quelques mois de plus pour préserver le souvenir de son ami : “Elle n’a pas attendu le temps nécessaire de veuvage” avait-il dit.
Je ne lui en veux plus. Je comprends les raisons de cette maladresse et préfère retenir l’amour qui se cachait derrière cette critique, même si à l’époque, j’en ai été irrité. L’image de Clément devait rester intacte, peu importe le reste, peu importe ceux qui vivaient encore et ce dont ils avaient besoin. J’aurais dû rester l’endeuillée, garder les habits noirs, rester un symbole, rester la veuve.
Et puisque j’avais réveillé l’araignée créatrice en moi, la tisseuse de toile, je devenais alors cette veuve noire.