Les projets avortés.
Pour comprendre cet article, je vous invite à lire la première partie si ce n’est pas fait ici
Dans la première partie de mon analyse sur Fantasmagorie, j’évoquais la phase de tristesse. C’est un sentiment faisant partie des étapes du deuil, à savoir qu’elle se trouve après la colère (étape que j’ai exprimée à travers Aranéisme) et avant l’acceptation (étape que vous découvrirez juste après celle-ci). Je me suis sentie en phase avec l’univers photographique ancien, des années 1920 et 1930 du cinéma muet. Je crois que j’aime particulièrement cette période car elle est encore très influencée par la peinture, notamment certaines mises en scènes qu’on peut retrouver dans l’art romantique d’autre part. Le mouvement romantique est particulièrement passionnant pour moi car il a pour vocation de représenter les sentiments humains, comme la mélancolie, la peur, la nostalgie. Me connecter à cette époque m’a permis de faire ressortir mes propres peurs, en m’appliquant sur la manière dont je voulais qu’elles s’expriment. Celles-ci s’étaient figées sur la pellicule de mes traumatismes, comme se seraient figées les images d’un cinéma muet. Jusqu’à ce que je décide de les faire crier.
La photographie “Cris avortés” est assez troublante. Elle mélange le beau, le fantastique, mais, de par son aspect glaçant, frôle la malaisance.
Il s’agit d’une femme au teint blafarde avec un landau, piégée dans la boue au milieu d’une forêt inquiétante et retenue par de grandes toiles d’araignée. Elle est encadrée par des branches d’arbres et des lianes qui rappellent toujours mon amie l’araignée. Derrière elle, une fumée de couleur verte accentue l’aspect macabre de la scène.
Ce que j’ai voulu exprimer en 2014 : Fan de Mylène Farmer, je m’étais inspirée du clip “plus grandir” de 1985 dans lequel on voit Mylène pousser un landau dans un cimetière, sur une musique inquiétante. Je disais vouloir travailler sur l’angoisse de perdre un enfant alors que ma modèle Sorcha qui incarnait cette mère, était enceinte de sa première petite fille. Elle m’avait confié ses peurs à ce sujet, ces insécurités qui grandissaient à mesure que son ventre s’arrondissait.
Pourquoi exprimer un sentiment qui ne m’appartenait pas ?
Je me souviens avoir pensé à la mère de Clément en imaginant cette mise en scène. Ayant gardé un lien particulier avec elle, je ressentais une forte empathie vis-à-vis de sa souffrance. Le néant s’était formé en elle comme un trou noir et sa douleur ne faisait que s’effondrer sur elle-même.
Toutefois, je suis convaincue qu’il s’agissait aussi de ma propre tristesse.
Ma réflexion d’aujourd’hui me pousse à croire que j’exprimais également le deuil de ma propre maternité. Une théorie qui peut paraître étrange compte tenu du fait qu’il s’agit d’un choix personnel. En effet, je ne désire pas être mère et il y a quelques années il m’était difficile de l’admettre. Je craignais les réactions de mes proches et me sentais mal à l’aise au regard de la société et de ce qu’elle attend de moi. Pourtant, il me fallait exprimer cet avenir que j’ai décidé de ne pas suivre. Peut-être que mon désir d’avoir des enfants est mort avec Clément, bien qu’il s’agirait d’une explication un peu facile à mon sens. Je n’ai pas la réponse, car qui peut savoir comment aurait été sa vie si elle avait tourné autrement ?
Ma seconde réflexion est beaucoup moins précise mais bien plus cohérente à mon sens. “Cris avortés” est le cri d’un projet tué dans l’œuf. La tristesse que j’exprimais avait le visage de la déception. La mort m’avait enlevé l’idée que je m’étais faite de mon avenir et de mon bonheur, car la mort m’avait pris mon amoureux. Un potentiel futur dans lequel j’aurais pu être enceinte, puis mère, puis grand-mère, les trois représentés sur une seule et même photo.
Finalement, Fantasmagorie aura marqué cette période qui appelait à la transition.
Je vivais intensément cette transformation à tel point que je ressentais le besoin d’exprimer la mort sous différentes facettes. Mes personnages symbolisaient les fantômes que je devais laisser derrière moi pour pouvoir accepter le processus de deuil.
Une fois encore, je suis stupéfaite de ce que mon intuition m’a amené à me faire comprendre. Car même si je ne l’ai pas réalisé durant cette période, cette force m’a poussé à me libérer puis à accepter, pour pouvoir avancer.
Fantasmagorie a également été présenté au public lors de l’exposition “are you experiencing » au Havre, en 2015. Quelques mois plus tard, je commençais à travailler sur une nouvelle étape, celle qui m’amènera à l’acceptation.
Ci-dessous, le backstage du shooting Cris avortés réalisé par Yannis Cacaux. Makeup/Hair: Sophie M makeup Photos backstage: Aurélie-cm-photographie Assistants: Loris et Aurélien Costumes: La malle aux costumes