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Après la colère, la tristesse.
Entre l’hiver 2014 et l’automne 2015, je me suis laissée entraîner dans une énergie différente de celle qui la précédait. Le rouge et le noir ne coloraient plus mes émotions, ils s’étaient dilués pour faire ressortir d’autres couleurs. Celles-ci étaient plus ternes, plus froides, plus macabres, plus fantasmagoriques.
Deux ans après le décès de Clément, je devais m’occuper du fantôme qu’il avait laissé derrière lui. Non pas le sien, mais le mien. Puisque lui c’était moi aussi, c’était nous et notre passé, notre présent et notre futur. Il me fallait sortir du monde des morts dans lequel je errais, sortir de la tristesse pour avancer vers la prochaine étape du deuil.
Je marquais mon agonie sur le visage de plusieurs de mes modèles, alors qu’elles incarnaient des personnages pouvant être tout droit sortis d’un film fantastique allemand des années 1920. Le cinéma expressionniste et le mouvement romantique m’ont particulièrement inspirés. Nosferatu, Faust, Métropolis, ces films qui avaient à mes yeux la sagesse d’être muet, tout comme ma résolution à transparaître mes émotions d’une façon non verbale, par le biais de la photographie. L’effroi se manifestait dans les expressions faciales que je mettais en relief par le maquillage et la projection de lumière directe qui donnait cet aspect fantomatique à mes modèles.
J’ai un souvenir moins douloureux de Fantasmagorie en comparaison à Aranéisme. Il y avait quelque chose de linéaire dans mon énergie, de mélancolique. Pourtant, la peur figurait aussi dans mes créations et je pense qu’il s’agissait de la peur d’accepter la mort, autrement dit, la peur d’accepter d’avancer. C’est ça, faire son deuil.
L’abandon qui accompagnait les personnages dans mes mises en scène, se représentait parmi des décors qui les enserraient. Cimetière, château délabré, forêt lugubre, des lieux qui abritaient auparavant la vie et qui symbolisaient à travers mes images, mon cloître. Je pense que d’une manière inconsciente (comme dans chacun de mes projets artistiques) je faisais figure de passeuse d’âme (personne ayant la capacité d’accompagner les âmes perdues à quitter la terre pour rejoindre l’autre monde ). Ainsi, j’accompagnais le fantôme de mon passé à quitter ce en quoi il se rattachait pour pouvoir regagner la paix.
Aujourd’hui, je peux apporter une analyse plus détaillée de trois de mes mises en scène réalisées durant l’hiver 2015. Comme je l’expliquais plus haut, le passé, le présent et le futur se confondent dans la représentation de ma part féminine, de celle que j’attribuais à Clément par dévouement.
-Dans ma série “Lénore”, il s’agissait de l’épouse (bien que je n’étais pas mariée), c’est-à-dire de ma jeunesse sentimentale et de l’avenir qui était devant moi. J’ai représenté cela en m’inspirant du poème romantique intitulé Lénore, écrit par Gottfried August Bürger, poète allemand du XVIIIème siècle. Le poème met en scène une jeune épouse, qui attend le retour de son mari partit à la guerre. Celui-ci reviendra à dos de cheval sous forme de spectre, pour emmener avec lui sa femme dans les ténèbres de la nuit. Parmi les photos les plus troublantes figure celle où ma modèle Clémence, que j’ai revêtu en mariée, court dos au soleil d’un air horrifié (voir la photo de présentation de l’article). Elle jouait le rôle de Lénore, elle-même transformée en spectre après avoir appris la mort de son mari.
-La seconde série de photos représente mon féminin sacré que j’étais en train de transmuter.
Magie et rituels chamaniques sont invoqués par ma modèle Céline qui a elle aussi, quelque chose de la veuve noire. Elle porte un voile de couleur bleu sur la première photographie (qui deviendra l’affiche de l’exposition) et tient dans sa main un encensoir et un chapelet qu’elle fait tomber au dessus de la fumée purifiante. Dans la seconde photographie, son voile est de couleur vert et elle tient dans ses mains un verre à pied rempli de sang. Sur cette seconde photo, les yeux de Céline sont ouverts et de couleur rouge tandis que dans la première ils sont fermés. Le vert et le rouge symbolisent le retour à la vie, soulignés par la présence de la nature qui, elle-même, recouvre la fenêtre d’un château abandonné devant lequel Céline pose. Le lierre est une plante qui évoque la continuité et la force de vie dont je devais m’inspirer. Il s’agissait donc d’intentions appelant à la guérison.
-La dernière série est sans nul doute la plus symbolique. Je vais être honnête, encore aujourd’hui je me pose quelques questions. Le regard que je porte sur ces photos est un regard différent de lorsque je les ai créés. Voilà pourquoi il serait pertinent que je me remette dans la peau de celle qui exprimait ces messages pour en comprendre l’intention première. C’est ce que je ferai au prochain article dans la partie 2 de Fantasmagorie.
3 réponses
Je viens de lire ce dernier article que je trouve captivant dans la manière dont tu racontes tes sentiments ainsi que tes inspirations afin de réaliser ces photos .C’est toujours interressant de comprendre le sens et le ressenti de ces créations .J’avoue me sentir proche de ces émotions ^^.
Merci beaucoup Mélanie pour ta lecture et ton intérêt <3