Mon expérience d’art thérapie.
Je me rends compte qu’en attaquant cette partie de mon histoire, c’est également le souvenir qui en est attaqué. Ce dernier garde une certaine amertume qu’aujourd’hui je désire transformer avec sagesse. Les émotions n’ont pas pour but d’être sages bien qu’elles aient l’intelligence de nous avertir. Elles nous alarment sur ce dont nous devons prendre conscience, elles s’ouvrent pour se libérer. À mon sens, puisque nous sommes humains, nous ressentons et à moins d’être piégé dans le mental nous sommes appelés à exprimer nos émotions. Peu importe la manière, peu importe l’outil, mais nous ne pouvons comprimer nos émotions, ou sinon, j’appellerais cela de la torture.
En ce qui me concerne, c’était évident que je ferai quelque chose de ce que je ressentais en 2013. En moi tourbillonnait une blessure qui m’a semblé nécessaire d’extérioriser. J’ai donc commencé ce projet photographique en 2013, quasiment un an après le décès de Clément. De nombreuses images hantaient mon esprit. Elles semblaient se projeter sur moi, parsemant mon âme de taches rouges et noires qu’il me fallait absolument exorciser. Les mêmes thèmes revenaient dans chacune de ces images : la persécution, l’incompréhension, le drame, le mystère, la méfiance, la folie, avec la femme au centre de celles-ci. Cette femme qui dérange, et pourtant, qui souffre.
Et comme je le disais, je n’avais pas réalisé ce qui se passait. Je n’avais pas compris ce qui a véritablement déclenché ce besoin d’extérioriser ce mal être, hormis la souffrance du deuil.
Me sentir incomprise ou rejetée n’était pas nouveau et cela a toujours été douloureux pour moi. Mais il y avait bel et bien une nuance quant à mes vieilles blessures. Celle-ci était bien plus profonde et plus saignante. Le rouge: la passion , la vie, la colère, mélangé au noir, c’est à dire la mort le deuil. Deux couleurs qui revenaient quasiment dans chacune de mes photos et qui habillaient cette araignée, la veuve noire.
Alors que cette femme torturée s’exprimait dans plusieurs de ces mises en scènes, je ressentais également le besoin d’exprimer des émotions à travers la matière, notamment la peinture. Je me rappelle que j’avais besoin de la sentir sous mes doigts, de l’étaler avec mes mains comme pour soigner ma blessure que je me représentais dans ces tons vifs.
Certains tableaux étaient assez révélateurs des énergies qui tourbillonnaient en moi.
-Un grand tableau format carré qui représente ce que j’appelais ma tâche noire et que je ressentais comme une douleur dans mon ventre intitulée “Pathos ».
-Un autre grand tableau représentant une femme nu en croix et piégée dans une toile. Sous ses bras coule du sang qui forme comme deux ailes écorchées. À ses pieds des symboles, des gribouillis qui prennent une place considérable et au-dessus de sa tête des rayons de lumière qui la rattachent au ciel. J’ai nommé ce tableau particulièrement symbolique “Corpus Tristis”.
Le regard que je porte aujourd’hui sur ces tableaux et photos, me font comprendre que mon expression trouve naturellement un sens, sans que j’ai besoin d’y réfléchir en amont. Je crois d’ailleurs que mon erreur par la suite a été de basculer dans l’effet inverse, c’est-à-dire de vouloir conscientiser chaque idées que je voulais représenter avant de les réaliser. Je comprends à présent que j’avais simplement été influencé par les conseils d’un ami qui cherchait davantage de sens logique mais qui m’a détourné de mon intention.
Il est nécessaire de couper son cerveau lorsque le cœur a besoin de s’exprimer, car notre intuition est bien assez intelligente pour nous guider, si ce n’est plus.
Pourtant, cet ami avait vu quelque chose que je n’avais pas remarqué tandis que je brodais de shooting en shooting, des arguments de défense face au jugement (voir l’article précédent, « Le soigneur »). C’est bel et bien son regard extérieur qui m’a fait comprendre que je m’inspirais de l’araignée et plus précisèment de la veuve noire, pour faire ressortir cette blessure du jugement. Je souffrais d’une image qui n’était pas la mienne, celle qui s’est collée à moi et dont je n’arrivais à me défaire. Ainsi, il me suggéra « Aranéisme » mot qui définit l’empoisonnement par le venin d’araignée, comme titre pour cette première exposition libératrice.
Comme si elle venait d’apparaitre dans ma vie, l’araignée en vérité, ne faisait que venir une fois de plus à mon secours d’une façon plus évidente qu’auparavant. Bien qu’elle ait mauvaise réputation, bien qu’elle repousse, l’araignée comme animal totem symbolise la créativité, l’énergie féminine, la patience. Katia Bougchiche décrit très bien l’énergie de l’araignée dans son livre « Créez une alliance avec vos animaux totems” que je vous recommande. Je vous partage un extrait de son ouvrage :
L’araignée accompagne tous les métiers dont le savoir-faire est en lien avec le tissage, la broderie, la couture ou la création artistique sur différents types de supports. Mais elle est également la tisserande de la destinée, et veille sur les médiums et les canaux (channels) pour leur révéler l’architecture invisible derrière l’œuvre d’une vie.
Son mantra : “du centre de ton être, brode ta destinée”.
L’araignée a véritablement joué la marionnettiste avec moi, et cela a été facile de me laisser faire, tant je n’avais pas conscience de ce qui se passait. Elle m’a aidé à créer des œuvres, certes dérangeantes, mais surtout très profondes. Et c’est avec un œil nouveau, que j’ai cœur à vous partager les fragments de mes blessures, matérialisées par la peinture et la mise en scène photographique et vidéo. Non pas pour mettre sous le feu des projecteurs ces anciens travaux, mais pour témoigner du pouvoir intuitif que nous possédons et dont on peut faire confiance, afin de nous aider à extraire nos blessures pour les regarder en face.
Ci-dessous, une sélection des photos du projet Aranéisme 2013/2014
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