Mon catalyseur

Mon catalyseur

J’avais été préparée à perdre. Perdre l’autre, perdre une vie, mais jamais je n’avais pensé me perdre moi. J’ai connu le deuil avant même de me connaître, il y a de ça plusieurs années. Cela a brisé mes croyances, ébréché mes sécurités et malgré tout, il m’a fallu survivre. Je me souviens alors que je m’étais intéressée à diverses méthodes de guérison. J’ai lu, j’ai écouté, mais rien n’a été aussi fort que lorsque s’est révélé à moi comme une évidence  : l’expression du ressenti. 

Je ne le savais pas à ce moment-là, mais lorsque j’ai ouvert ce portail, j’ai libéré mon araignée. Timide et pourtant sûre d’elle, elle m’a montré comment je pouvais communiquer mes douleurs sans avoir besoin d’y mettre des mots. C’est alors que j’ai réalisé en 2014 ma première exposition photographique post mortem : Aranéisme. À l’époque, je pensais que je donnais la parole à l’autre, et plus précisément à la veuve noire. Cette araignée qui se terre dans l’ombre et tisse avec patience et créativité, sa toile pour survivre.

La veuve noire est mystérieuse mais peut être aussi dangereuse si l’envie nous prenait de l’approcher de trop près. Elle porte la couleur de la mort pour signifier à l’autre son lourd secret, tout en rappelant, à la vue de son sablier rouge imprimé sur son ventre, que tout n’est qu’une question de temps. Ce temps je l’ai pris, et durant plusieurs années j’ai emprunté pour guérir, le chemin de l’art cathartique grâce à un outil, la photographie.

PARTIE I : Clément.

J’ai souvent raconté cette histoire, à tel point que cela devenait mécanique. J’utilisais les mêmes mots et choisissais quel détail je voulais révéler, assez pour créer chez mon interlocuteur, un mutisme de circonstance.

Cette histoire, c’est mon histoire. Mon drame. Ma douleur. Pourtant, jamais je n’ai voulu la garder pour moi. Peut-être que la contenir me semblait bien plus douloureux, que d’extérioriser par le biais de l’expression artistique ce qui ne pouvait être avoué. Car oui, le drame est une pudeur que j’ai tenté de sublimer pour la rendre plus acceptable, plus facile à partager. Alors, il m’a fallu user de symboles et déguiser chaque idée pour qu’elle représente l’allégorie de la douleur que je devais manifester.

10 ans plus tard, j’ai décidé de ranger les images, pour raconter à travers les mots ce qui a bouleversé ma vie et m’a fait éprouver et expérimenter le processus de guérison par l’art.

À 23 ans, j’ai perdu celui que je considérais comme l’amour de ma vie.

Mon ventre s’est crispé en écrivant cette phrase. Je dis souvent que j’ai fait le deuil, et c’est vrai, j’ai accepté la mort. Mais le traumatisme qui découle de cet événement restera probablement toujours ancré en moi.

Clément était une étoile filante dans ma vie et cette image est véritablement ce qui lui correspondait.

J’ai croisé son regard au milieu d’une foule, le premier jour de l’été 2009. Il s’est pointé au bon moment, comme la réponse à un vœu que j’avais fait à l’univers.

J’avais 21 ans et j’étais très rêveuse. À l’époque, j’avais demandé à rencontrer un musicien, un passionné d’histoire, un amoureux de la nature, un aventurier. Qu’il soit cultivé, amusant, un brun aux yeux bleus ou vert clair. Si je vous dis qu’il cochait pratiquement toutes les cases, vous me croyez ? Car c’était la vérité, sauf qu’il avait les yeux noisette, et clairs uniquement lorsque la lumière s’y reflétait. 

Clément était bassiste dans deux groupes de musique métal ; je n’aurais pas demandé mieux. Il avait des cheveux longs qui tombaient sur ses épaules, de grands yeux expressifs et un sourire très craquant. C’est en le voyant pour la première fois que j’ai réalisé que j’étais encline à fantasmer sur ce genre de garçon.

Lorsque je l’ai remarqué, j’ai ressenti un sentiment unique, quelque chose que je n’avais jamais expérimenté auparavant : le coup de foudre. Malheureusement ça n’est arrivé que dans un sens, il était tellement attentif au concert qu’il regardait, puisque c’était le jour de la fête de la musique, qu’il ne remarquait pas qu’une rousse bavait juste à côté en le reluquant.

C’est alors que je me suis découvert un goût pour la séduction par le mystère. J’avais réussi à avoir son numéro de téléphone, puisque grâce au ciel, lui et moi avions un ami en commun qu’il était justement venu saluer sous mes yeux. Clément était loin d’imaginer qu’il recevrait quelques jours plus tard le premier sms d’une personne secrète qui se disait être “sa conscience”. Je suis partie dans un jeu, puisque j’adore jouer, et quelques soirs de l’été 2009, je m’amusais à lui envoyer des messages du genre “les astres me disent que tu dois te confier, je suis ta conscience, dis moi tout”. Lui me répondait “ok ma conscience, je suis nécrophile”. C’était du Clément tout craché, complètement perché avec son humour peu recommandable.

J’ai passé l’été à rêvasser, à lui envoyer occasionnellement un sms secret, auquel il ne répondait pas toujours. Il ne savait pas non plus que l’auteur de ces messages était la fille qui l’avait tout juste ajoutée sur Facebook. J’ai été d’une patience surprenante. Peut-être que cela me semblait trop irréel pour être vrai, mais je me souviens que je me suis laissé porter par cette singulière énergie qui a marqué cette période de ma vie. Pour sûr, cette histoire avait été écrite avant ma venue au monde.

Après des semaines à m’imprégner de son univers grâce aux réseaux sociaux, j’ai réussi à obtenir un contact avec lui sur Messenger. Les échanges étaient plus ou moins brefs, mais agréables. Clément était un charmeur maladroit, mais c’est ce qui le rendait unique.

Un jour, j’ai appris qu’il devait jouer avec l’un de ses groupes dans un petit festival normand et m’a demandé si je pensais y aller. À l’époque, cela faisait 2 mois que j’avais mon permis, je n’avais jamais été à un festival, mais je n’ai pas hésité à foncer. Une pareille occasion ne se représenterait pas de sitôt.

Je suis donc partie avec ma vieille et courageuse 205 Peugeot en direction du festival qui ne se trouvait pas trop loin. J’étais accompagnée de quelques copains avec lesquels je suis restée une partie de la soirée, le temps de voir arriver celui que j’avais attendu tout l’été. Au milieu des rangées de tentes, nous buvions et discutions, les copains et moi, lorsque Clément est venu me saluer. Enfin. Sauf que je n’avais pas été préparée à sa personnalité. J’ai découvert un garçon turbulent, excentrique voire dérangeant… Et je n’étais pas au bout de mes peines. Quelque peu déçue, je décidai de ranger ma séduction. Un garçon comme lui, c’était à coup sûr, un mauvais plan.

La nuit tomba, j’étais toujours avec mes copains, lorsque mon mauvais plan s’avança vers nous, une lampe collée à son front. Il demanda à l’ami que nous avions en commun, s’il souhaitait l’accompagner dans une balade nocturne, à la recherche d’une potentielle grotte qu’il avait repérée avant de venir. Notre ami déclina son invitation, normal. Moi, je trouvais cela intriguant. Il décida alors (l’air de rien) de me demander à mon tour, si je voulais partir avec lui… Visiter une grotte. En pleine nuit. N’importe quelle fille se serait méfiée, mais moi non. J’avais lu dans ses yeux que je ne craignais rien. Alors j’ai accepté cette excitante aventure et nous avons quitté ce festival qui m’avait servi de prétexte pour le rencontrer. 

Les étoiles nous regardaient marcher à travers champs. L’ambiance, plus que romantique, aurait fait une magnifique toile de fond pour raconter cet instant, si Clément n’avait pas décidé de le gâcher en faisant l’imbécile. Quoi-que. Peut-être avait-il deviné qu’imiter la démarche et la gestuelle d’un zombie me ferait rire, ce qui, à mes yeux, le valorisait. Mais comme je le disais plus haut, je n’étais pas au bout de mes peines. Non seulement, il imitait le zombie d’une façon très drôle, mais me poursuivait pour essayer de me faire peur et cela me faisait encore plus rire. 

Nous sommes arrivés à l’endroit où il pensait découvrir une grotte, comme il était habituellement doué pour les repérer, mais ce soir-là, il n’y en avait pas. Alors nous nous sommes affalés par terre, dans les bois qui bordaient une route et nous avons discuté. C’est alors que je fis connaissance pour la première fois d’une âme-sœur.

C’était fou. Lui et moi avions tant de choses en commun : les mêmes goûts littéraires, cinématographiques, ainsi que nos préférences en musique. Nous sourions bêtement à chaque fois qu’on se rendait compte que l’autre connaissait tel film ou telle BD. Je ne sais pas combien de temps nous avons parlé car le temps semble s’arrêter quand on rencontre “l’évidence”. Je n’ai pas manqué de lui révéler mon secret, c’était trop tentant de voir sa réaction. Il a évidemment rigolé lorsque je lui ai avoué que c’était moi, sa conscience et je pense même avoir gagné des points avec cette idée tordue. Forcément, deux timbrés ensemble cela ne pouvait que fonctionner.

Après un certain temps assis à discuter au milieu de nulle part, nous avons décidé de retourner au festival. Il me tendit sa main pour m’aider à me relever, puis me fit face. Nous restâmes quelques secondes à nous regarder, jusqu’à ce qu’il s’approche tout doucement de mon visage. Il reprit sans que je ne m’y attende, son rôle de zombie et respira bruyamment, mais sensuellement au creux de mon cou. Tout en caressant ma peau avec le bout de son nez, il remonta vers ma joue et effleura ma bouche, puis mit fin à ce supplice en m’embrassant. Nous ne le savions pas, mais c’est à ce moment-là que notre destin fut scellé.

(suite prochainement). 

Clément.
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18 réponses

  1. La mort est un moment extrêment difficile à vivre qui forge notre caractère et fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui.
    Je suis pressée de découvrir tes textes, c’est toujours un plaisir de te lire.

  2. Quel courage de t’éclore de cette manière, l’écriture est un solide remède et d’un redoutable pouvoir.
    J’aime beaucoup le sens que tu lui donnes. Impatiente de continuer à te lire.

    1. J’ai hâte de découvrir la suite de ton histoire. C’est joliment écrit, puis cette aventure amoureuse naissante dans les yeux du jeune femme est vraiment attendrissante!😊

  3. Très beau, cela fait remonter de vieux souvenirs…
    Bonne initiative d’extérioriser de cette façon, et la lecture est très agréable.
    Clément manque à beaucoup de personne, j’en suis convaincu.
    Bon courage pour ton rétablissement, aussi dur soit il a réaliser …

  4. Glad I followed the link, glad I read this first part and très curieux to read the rest of this first story you share. Et tu as certainement raison de chercher ta guérisson par l’art de l’écriture, de ouvrir toi-même, tes pensées et de les rendre à la lumière afin de mieux les comprendre. If this makes any sense.

  5. Bravo ma sœur , ton projet est à ton image original, créatif et généreux. L’arts thérapie est un outil qui m’inspire beaucoup. J’ai hâte de poursuivre ces lectures pour apprendre plus précisément de tes différentes étapes de guérison. Au travers de ton art, mieux comprendre le lien et le message dans l’expression de tes émotions.

  6. Je t’avais demandé de raconter votre histoire à l’époque, je me souviens. J’avais eu envie de connaitre tous les détails car, malgré son issue tragique, elle portait en elle une part d’éternité et d’unicité. Elle reste fascinante encore aujourd’hui et j’y pense souvent…
    C’est un véritable plaisir d’en lire la nouvelle mouture 🙂

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